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Philippe Crist

Économiste et chercheur au Forum international des transports de l’OCDE – « mais aussi coureur cycliste et chasseur de cham-pignons », ainsi que l’indiquait sa fiche de présentation lors du congrès Velo-City de Vienne en 2013 –, Philippe Crist a fait une intervention remarquée en septembre 2014 à Lille lors du der-nier congrès annuel des DRC. Rencontre avec un prêcheur convaincant qui se veut « tout sauf prosélyte ».

  • Vous avez pris part en septembre 2014 aux 18es Rencon-tres annuelles des DRC. Quel souvenir en gardez-vous ?

Je n’ai malheureusement pas pu rester après mon interven-tion. J’étais en effet attendu l’après-midi même à Bruxelles pour une autre réunion. Ceci étant, du peu que j’en ai vu et des échos que j’ai pu avoir par la suite, les échanges avaient l’air hyper intéressants !

  • Pouvez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a conduit à vous intéresser aux problématiques vélo ?

Je suis franco-américain. J’ai grandi aux Etats-Unis où j’ai fait des études d’économie et d’anthro-pologie, avant de poursuivre en France par une spécialisation en aménagement du territoire et gestion des ressources naturelles. J’ai ensuite intégré l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) afin de travailler sur les questions des transports et de l’environ-nement au sens large, c’est-à-dire depuis le maritime jusqu’à l’urbain, sous leur angle économique, avec une réflexion accrue sur les coûts du transport urbain. C’est comme cela que j’en suis arrivé à m’intéresser, entre autres, aux problématiques cyclables.

  • Vous étiez déjà sensibilisé à la question ?

Oui. Comme je vous le disais, j’ai grandi aux États-Unis, plus précisément à Nashville dans le Tennessee. C’est une ville très étalée où tout le monde prend sa voiture même pour faire 200 mètres. Or il se trouve que je n’ai pas le permis de conduire. Je me suis toujours déplacé à vélo tout en pratiquant en parallèle les courses cyclistes en amateur.

  • C’était un choix ?

Complètement. Le fait de ne pas me déplacer en voiture est le fruit d’une réflexion personnelle liée  à la liberté. Je voulais voir le monde autrement. Même si j’étais l’un des seuls de mon entourage à me déplacer à vélo, j’étais convaincu qu’en m’imposant ce choix de vie, j’allais m’ouvrir des portes et des opportunités que je n’aurais pas eues sinon. Et puis il ne faut pas perdre de vue que la voiture représente un budget. Tout ce que j’ai économisé en ne le mettant pas dans une voiture, j’ai pu le mettre dans les voyages. Or les voyages, comme chacun le sait, forment la jeunesse !

  • En quoi consistent vos activités au sein de l’OCDE ?

L’OCDE est une organisation qui comporte 34 pays membres et son Forum international des transports en regroupe 54. Nous travaillons pour nos pays afin de créer un rapprochement entre eux. Aborder des thématiques au sein de l’OCDE, c’est tenter de sortir les pays membres de pro-blématiques restrictives, essayer de voir plus large. Nos derniers travaux en cours en matière cyclable s’inscrivent en plein dans cette ambition. D’un pays à l’autre, que constatons-nous ? Lorsque la pratique du vélo augmente, le nombre d’accidents augmente également. Ce constat posé, que pouvons-nous faire ensemble pour diminuer la dangerosité des déplacements à vélo ? Il en va de même en ce qui concerne les effets du vélo sur la santé. Quel est le coût des accidents et les bénéfices qu’une population peut tirer d’une activité physique ? Là encore, le plus important au départ est de bien cadrer le sujet et de se poser les bonnes questions.

  • Comment dégager un consensus compte tenu du nombre de pays participants ?

C’est tout l’enjeu. Nous constatons effectivement de grosses disparités d’un pays à l’autre. En Europe par exemple, nous nous targuons d’être en avance en matière de vélo. C’est faux. La majorité des cyclistes aujourd’hui vivent dans les pays en voie de développement. La pratique du vélo est là aussi un choix, mais un choix motivé par des nécessités économiques. Après, la politique cyclable rêvée serait d’arriver au taux de part modale observée dans un pays comme l’Inde, à la sécurité vers laquelle nous tendons en Europe…

  • Sur quels leviers vous efforcez-vous d’agir ?

La dangerosité des accidents est l’un des leviers essentiels. Il convient de noter à cet égard qu’en anglais accident et collision sont deux mots distincts. La collision en ville se dit “crash”. Pour nous, l’un des principaux leviers consiste à réduire la vitesse car l’énergie cinétique libérée à l’impact augmente avec la vitesse. C’est elle qui régularise les flux, alors c’est sur elle qu’il nous faut agir.

  • Vous déclariez récemment que les villes aujourd’hui occupaient 5 % de la surface du globe et regroupaient 50 % de la population mondiale…

Et bientôt 70 %… L’urbanisation du monde est un fait. Le corollaire c’est que 80 % des déplace-ments risquent bientôt d’être effectués en voiture. Pour de nombreux usagers, la voiture est consi-dérée comme un outil au même titre que le marteau, le stylo ou la chaussure. C’est un outil attractif et pratique. Le problème c’est que lorsque tout le monde en est équipé, l’outil devient encombrant, au propre comme au figuré. Est-il décemment viable de continuer à vivre avec 80 % de voitures en ville ? Se poser la question, c’est déjà en déduire la réponse. C’est précisément dans cet environnement congestionné que le vélo trouve toute sa place. La finalité est la même et le moyen plus rapide et plus pratique. Il constitue une soupape de secours au même titre que les transports en commun et la marche à pied.

  • Quelles perspectives économiques s’offrent au vélo à moyen terme ?

Tout dépend de la vision de l’élu et de son vécu sur le terrain. Certains restent hermétiques et d’autres s’ouvrent à la discussion. Selon nos études, l’humanité cumulera 400 000 milliards de déplacements en 2050, dont 54 000 milliards de déplacements nouveaux liés à la croissance. 94 % de ces déplacements se feront dans des pays en voie de développement et 97 % seront loca-lisés en ville. Les chiffres sont là pour rappeler aux élus que c’est en prenant des risques pour le vélo qu’une ville peut augmenter son attractivité de manière décisive. L’heure n’est-elle pas à la concurrence des villes entre elles ? Très bien. Avec le vélo, les élus ont un levier pour que les autres se disent : « Si eux l’ont fait, alors à notre tour nous pouvons le faire. »

  • Vous avez grandi aux Etats-Unis. Quelles tendances s’y dégagent pour l’avenir ?

Il est intéressant d’observer ce qui se passe dans des villes comme Memphis, Chicago, New York, Portland ou Boston. Nous voyons arriver des entreprises jeunes qui demandent expressément à bénéficier d’aménagements pour le vélo. Les employés veulent que l’on investisse dans les infra-structures. C’est une tendance sensible sur ces cinq ou dix dernières années… Je crois beaucoup en l’exemplarité, et celle-ci doit venir d’en haut. Cela porte un nom : l’émulation.

Propos recueillis par Anthony Diao

Vélo & Territoires, la revue