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Tomi Ungerer

À 80 ans, Jean-Thomas (“Tomi“) Ungerer a trempé son pinceau aux quatre coins du globe, signant plusieurs dizaines de milliers de dessins. Issu d’une famille d’horlogers, il est l’auteur d’innombrables livres pour enfants («Les trois brigands», c’est lui), et lauréat à ce titre en 1998 du prestigieux Prix Hans Christian Andersen, mention illustrateur. Également connu pour ses œuvres satiriques et érotiques, il dessine en 1988 les plans de l’Aqueduc de Janus, monu-ment inauguré pour les 2 000 ans de sa ville natale, Strasbourg. Depuis 2007, la capitale alsacienne lui consacre un Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’illustration, constitué de près de 8 000 dessins originaux, affiches, sculptures, jouets personnels donnés à la ville de son cœur par l’illustre illus-trateur. Dire qu’au commencement de tout cela, il y avait un vélo nommé Libellule…


  • L’année de vos quinze ans, en 1946, vous êtes parti découvrir la France à vélo. Six décennies plus tard, quels souvenirs en conservez-vous ?

Ces voyages m’ont formé. Vous savez, pour moi, rien n’a jamais remplacé le contact direct avec la
route. Le vélo reste le meilleur moyen de découvrir et de visiter un pays… à condition qu’il y ait de la place sur la chaussée. J’insiste sur ce point, car ce qui était vrai en 1946 ne l’est plus aujourd’hui – et c’est pourquoi le développement des pistes cyclables est une si bonne chose. Rouler le long des canaux ou des chemins ruraux, c’est retrouver un peu du sentiment de liberté de ces années d’immédiat après-guerre.

  • C’était comment, les routes de France en 1946 ?

Nous n’étions presque pas dérangés. Il y avait bien quelques camions de loin en loin. Encore une fois, nous vivions des temps de grande liberté. Moi ce que j’aimais par dessus tout, c’étaient les cols, le Galibier, l’Iseran… Eh bien, vue notre envie de vitesse une fois en haut, je peux vous dire que dans les descentes il valait mieux effectivement que la route soit dégagée !

  • En 1946, vous alliez sur vos quinze ans. C’est jeune pour partir ainsi à l’aventure…

Vous savez, avoir grandi en Alsace pendant une guerre opposant la France à l’Allemagne, ça influe forcément sur votre adolescence. Vous naissez français, puis vous devenez allemand sous les Nazis puis, à la Libération, vous redevenez français mais tout en étant sans cesse renvoyé à votre ex-condition d’Allemand… J’ai du reste “autobiographié“ toute ma vie, sauf ces années vélo. Et j’ai beau avoir écrit 150 livres, je reste un illettré pour les statistiques françaises, car j’ai décroché à cet âge-là, dès le lycée.

Pour partir ?

Oui. J’avais un vélo d’occasion que j’avais baptisé Libellule. Chaque matin, pour le plaisir, je montais avec Libellule jusqu’au col des Trois Épis. J’étais alors éclaireur chez les scouts et nous roulions souvent pendant les vacances scolaires. Pour dormir, c’était chez l’habitant, le curé… Parfois j’étais à l’arrière, je réparais les crevaisons. J’ai ainsi grimpé les Alpes, le Massif Central, le Jura. Comme j’étais passionné de géologie, je me rappelle par exemple avoir gravi le Galibier pour aller chercher de la phonolite, et être rentré les sacoches pleines de fossiles !

  • Combien de temps ont duré ces voyages ?

Ces voyages se sont étalés entre 1946 et 1950. J’ai énormément roulé avec Libellule, et puis un jour il m’a été diagnostiqué une hypertrophie du cœur. Depuis je n’ai plus jamais refait de vélo. J’ai remplacé cet exercice par l’auto-stop et suis parti ainsi jusqu’en Laponie… Aujourd’hui, de telles distances se parcourent en avion. Le défi n’est plus le même, n’est-ce pas ?

  • Vous ne faites donc plus du tout de vélo ?

La dernière chose que je peux faire avec mon hypertrophie du cœur, c’est de la marche. À la rigueur il y aurait bien la moto, mais c’est un véhicule rapide, dangereux et bruyant. Or l’atout
phare de la marche comme du vélo, c’est le silence, le faible encombrement visuel et sonore. C’est d’ailleurs précisément ce silence et cet espace qui ont disparu des routes d’Irlande, un pays qui restait à mes yeux comme l’un des derniers endroits du globe à ne pas être encore saturé par l’automobile.

  • Conservez-vous une nostalgie de cette époque ?

Il y a un repère qui me manque aujourd’hui, ce sont les bornes kilométriques. Je sais qu’elles ont été supprimées parce qu’elles étaient devenues dangereuses pour les automobilistes, mais il faut savoir que pour nous cyclistes, c’était comme cocher les jours sur un calendrier. Chaque borne passée nous signifiait notre progression et nous encourageait à poursuivre l’effort. Le décompte des kilomètres nous était favorable… Et puis vous savez, le plus grand ennemi du cycliste, ce n’est pas le col, ce n’est pas la pluie ni la circulation… C’est le vent ! Je me souviens d’un jour dans le Midi où j’ai roulé avec le mistral de face, eh bien je peux vous dire que je n’ai pas rigolé. Heureusement qu’il y avait les bornes pour nous inciter à continuer !

  • Votre région natale, l’Alsace, est particulièrement motrice dans le domaine des politiques cyclables…

C’est normal, l’Alsace est le territoire idéal [rires]. Nous avons la chance d’avoir la Route du Rhin et un profil de touristes randonneurs très différent des touristes de la Côte d’Azur, par exemple. J’apprécie beaucoup les sentiers répertoriés par le Club vosgien, sur la Route des Crêtes, mais aussi dans le Jura, en Bourgogne… Ce sont des destinations hautement recommandables [rires] !

Propos recueillis d’Anthony Diao

 

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