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Olivier Razemon

Extrait de Vélo & Territoires 36

(c) Laurent Bouvet / RAPSODIA

Plume réputée sur les questions cyclables mais pas seulement, il pourrait porter ses prochains travaux sur les questions de paupérisation et de désertification des centres-villes. Entretien décoiffant avec un chroniqueur “impatient” de l’époque et de ses carences.

Journaliste au plus près des dossiers de la mobilité – son blog L’interconnexion n’est plus assurée est hébergé par le site Internet du quotidien Le Monde et compte en moyenne selon son éditeur « 300 000 visites uniques par mois » –, Olivier Razemon a publié au printemps dernier Le pouvoir de la pédale. Sous-titré Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, cet essai militant était pour Vélo & Territoires l’occasion de lui tendre le micro.

• Quand êtes-vous tombé dans la marmite vélo ?
D’abord le vélo n’est pas une marmite, mais un moyen de déplacement [sourire]. Voici une vingtaine d’années que je me déplace à vélo dans Paris comme ailleurs et je constate un paradoxe. De tous les moyens de déplacement, c’est celui qui émerge, ne serait-ce que par sa robustesse et sa fiabilité, mais aussi pour son incidence sur l’économie locale, la santé de chacun ou le partage de l’espace. Et pourtant, il n’est toujours pas pris au sérieux. Un article paru il y a quelques jours évoquait la “mode” du vélo. Or, le vélo n’est pas une mode. C’est plutôt la solution de bon sens la plus appropriée aux préoccupations contemporaines.

• Depuis quand écrivez-vous sur le vélo ?
Dans Le Monde, depuis plusieurs années déjà. J’ai écrit, avec mes deux co-auteurs Les transports, la planète et le citoyen paru en 2010. Mon blog, sur le site du Monde, a plus de deux ans. Le premier article est paru le 21 mars 2012.

• Ce blog est un lieu d’échange avec vos lecteurs. Est-ce chronophage ?
La tenue du blog est effectivement un boulot à part entière, y compris la partie dédiée aux commentaires. C’est un lieu où se télescopent de nombreuses expériences. En général, chacun y défend le moyen de transport qu’il utilise tous les jours. Or les catégories ne sont pas étanches. Scooteristes, cyclistes, piétons ou automobilistes : il n’y a pas une rivalité entre les usagers, mais une concurrence entre les moyens de transport.

• Qu’avez-vous découvert en écrivant sur le vélo ?
En voyageant régulièrement, je découvre que les enjeux sont les mêmes partout. A la campagne, en ville ou dans un quartier périurbain, en France, ailleurs en Europe ou sur un autre continent, que l’on soit un hipster connecté ou le propriétaire d’un biclou rouillé, l’équation reste identique : on ira toujours trois à cinq fois plus vite à vélo qu’à pied. Une autre découverte est l’impact économique du vélo. Le cycliste va au plus simple. Il privilégie les commerces de proximité aux grandes surfaces situées hors des villes. Il préférera une halte chez le boulanger, chez le pharmacien, puis chez le boucher, tout simplement parce que c’est plus rapide. Le vélo est un excellent remède pour l’économie locale aujourd’hui malmenée. De fait, il existe très peu  d’hypermarchés excentrés aux Pays-Bas, le pays le plus cycliste d’Europe.

• Quel lectorat visez-vous ?
Ce livre s’adresse aux décideurs, tout le monde étant décideur car nous faisons tous des trajets. Certes les élus, à tous les niveaux, et les dirigeants d’entreprise sont des leviers importants, car leurs décisions entraînent beaucoup de conséquences. Mais il est tout aussi utile, par exemple, de peser lors d’une assemblée générale de copropriétaires pour demander la mise en place d’arceaux ou de locaux pour les vélos dans la copropriété. Agir, c’est convaincre à chaque niveau de la chaîne de décision.

• Y a-t-il des cycles dans le cycle ? En clair, dans quelle phase sommes-nous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, l’important est d’aménager – ou de ne pas aménager, si l’aménagement dessert plus qu’il ne sert. L’important doit rester l’intérêt général, et non la somme des intérêts particuliers, sur le mode « moi j’ai le droit de passer ». Il faut en outre de la pédagogie à tous les niveaux. Je suis réservé, par exemple, sur l’utilité d’une indemnité kilométrique pour les cyclistes. En même temps, cela fait parler du vélo. Et puis entendre un ministre reprendre ces arguments, c’est mesurer le chemin accompli.

• Votre livre Le pouvoir de la pédale s’achève sur un chapitre assez sombre, qui relève de l’anticipation…
Oui, c’est vrai, mais cela correspond à ce qui est en train de se passer dans certaines villes. Mon ouvrage, tiré à 2 500 exemplaires initialement, vient d’être réimprimé. J’ai apporté une mise à jour dans la partie finale en évoquant la décision du maire de Béthune, au printemps 2014, de rendre la Grand-Place, piétonne depuis vingt ans, à la circulation automobile. A Thionville, ce sont des pistes cyclables qui ont été détruites. A Saint-Etienne, on verbalise les cyclistes. J’évoque aussi cette histoire à Cagnes-sur-Mer où, en 2012, le maire a limité sur les pistes cyclables de la commune la vitesse des vélos à 10 km/h, au motif que les usagers seraient forcément des cyclistes de compétition dont la vitesse serait dangereuse pour les piétons. Le plus étonnant, c’est peut-être l’âge de ces maires. Celle de Thionville a 44 ans, celui de Béthune 38, celui de Saint-Etienne 42. Rien n’est jamais acquis…

De quoi “vélo” est-il le nom ?

« En français, le vélo est l’apocope de “véloce”, très usité à la fin du 19e siècle. Ce terme, lui-même abrégé de “vélocipède”, doit son nom à la vitesse, vélocitas en latin. Ce vélo, anagramme de love, lové dans “développement” et le début d’“évolution”, circule dans le monde francophone, mais aussi en Suisse alémanique. En letton, on dit velosipéds et en bulgare ou en russe, velosiped. Pour nommer la chose, d’autres langues utilisent le mot “roue”, ou ses dérivés. C’est le cas en allemand, Fahrrad (la roue qui avance), abrégé Rad dans la vie courante, en lituanien, dviratis (deux roues), en finnois, polkupyörä (la roue sur le sentier), ou encore kola en tchèque ou en slovène. De nombreuses langues désignent l’objet par le mot “cycle», le cercle, du latin cyclus et du grec kyklos : cykeln en suédois, cyklen en danois, ou sykkel en norvégien. Le vélo étant composé de deux roues, on l’a baptisé bicycle, ou bicyclette, bicicleta en espagnol et en portugais, bicycletta en italien, bicykel en slovaque et bicycle en anglais, le plus souvent abrégé en bike. En polonais, on nomme la chose rower, comme le fabricant de machines à coudre Rover, inventeur de la chaîne, plus connu pour sa destinée de constructeur automobile. L’origine du mot néerlandais fiets (ou fyts en frison) utilisé aux Pays-Bas, en Flandre, mais aussi informellement dans certaines régions d’Alle-magne, comme à Münster, est plus incertaine. On relie parfois cette appellation à un fabricant de voitures, E.C. Viets, mais celui-ci semble avoir commencé son activité quelques années après la généralisation du vocable. Peut-être s’agit-il d’une abrévia-tion des mots français “vélocipède” ou “vitesse”. D’autres auteurs affirment que fiets provient de l’allemand Vize-Pferd (vice-cheval), c’est-à-dire un objet à deux-roues presque aussi rapide que le cheval. En langue dilua, pratiquée au Burkina Faso, les premiers vélos arrivés après la colonisation, dans les années 1920, ont été baptisés nèguèso, ce qui signifie “cheval de fer”. En chinois, enfin, le zixingche est composé de trois caractères signifiant respectivement “seul”, “fonctionner”, et “véhicule”. Quelque chose comme “le véhicule qui fonctionne seul”. »

Extrait. Le pouvoir de la pédale. Editions Rue de l’Échiquier.

Pour en savoir plus, voir le blog et la page FaceBook d’Olivier Razemon :
http://transports.blog.lemonde.fr
www.facebook.com/linterconnexion

Propos recueillis par A. D.

Vélo & Territoires, la revue